9

Rien n’avait tellement changé. Sans grilles fermées ni chiens de garde, le grand manoir aux fenêtres cintrées, tout hérissé de cheminées, soigneusement entretenu, se dressait au milieu du parc boisé. En l’admirant, on se représentait aisément la grandeur, mais aussi l’austérité de l’époque de sa construction.

Seule la longue rangée de voitures garées dans des boxes ouverts, le long de l’allée de gravier, évoquait les temps modernes. Même les câbles électriques étaient souterrains.

Il se faufila entre les arbres et s’approcha des murs, cherchant les portes dont il se rappelait l’existence. Il ne portait ni costume ni manteau mais un pantalon de velours marron et un épais pull-over de laine.

Plus il approchait, plus la maison lui paraissait immense. Des petits points lumineux trouaient les façades. Les érudits travaillaient dans leurs cellules.

À travers les petites fenêtres à barreaux du sous-sol, il aperçut la cuisine. Deux femmes vêtues de blanc mettaient sur le côté le pain qu’elles venaient de pétrir pour le laisser gonfler. Leurs mains et la table étaient blanches de farine. Une bonne odeur de café lui parvint aux narines. La porte des livraisons ne devait pas être loin. Il longea le mur et parvint à une porte qui ne semblait pas servir souvent.

Cela valait la peine d’essayer. Il avait emporté des outils. Il n’y avait probablement pas de système d’alarme. La porte n’avait pas l’air en très bon état et, en l’examinant, il s’aperçut qu’elle n’avait pas de serrure mais un simple loquet et des gonds rouillés.

Il la poussa du doigt et, à sa grande surprise, elle s’ouvrit dans un grincement agaçant. Un petit escalier menait à l’étage. Les marches présentaient des traces de pas récentes. Il sentit un souffle d’air chaud et légèrement confiné.

Il entra et referma la porte. Un mince faisceau de lumière venant du haut éclaira l’écriteau manuscrit cloué sur l’intérieur de la porte : « Prière de refermer cette porte. »

Il s’assura qu’elle était bien fermée, se retourna et gravit les marches. Il arriva devant un large couloir aux panneaux sombres.

Il l’emprunta sans essayer d’étouffer le bruit de ses pas ni de se cacher dans les zones d’ombre. Il arriva dans la bibliothèque qu’il avait bien connue. Pas celle des vieilles archives sans prix, mais la salle de lecture aux longues tables de chêne, aux chaises confortables, aux piles de revues du monde entier et à la cheminée éteinte mais encore chaude, où quelques braises continuaient de scintiller parmi les bûches carbonisées et les cendres.

Il pensait trouver la pièce vide mais, en y regardant de plus près, il aperçut un vieillard assoupi sur un siège, complètement chauve, avec de petites lunettes sur le bout du nez et portant une robe de chambre sur une chemise et un pantalon.

Il ne fallait pas commencer par là. Il sortit de la pièce sans un bruit, trop content de ne pas avoir réveillé le vieil homme, et parvint au grand escalier. De son temps, les chambres étaient au troisième étage, était-ce encore le cas ? Il monta jusque-là. Arrivé au bout du couloir du troisième, il aperçut un rai de lumière sous une porte et décida de commencer par là.

Sans frapper, il tourna la poignée et entra dans la chambre, petite mais élégante. Une femme aux cheveux gris assise à son bureau leva vers lui des yeux étonnés mais dénués de crainte.

Il s’approcha du bureau. La main gauche de la femme était posée sur un livre ouvert dont elle avait souligné un passage.

C’était un texte de Boèce, dont la phrase soulignée était : « Le syllogisme est un raisonnement dans lequel, certaines choses ayant été posées et admises, d’autres que celles admises doivent être obtenues par le moyen des choses admises. »

Il se mit à rire.

— Excusez-moi, dit-il à la femme.

Elle le regardait toujours mais n’avait pas fait un geste depuis son entrée.

— C’est vrai mais drôle, n’est-ce pas ? J’avais oublié.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle.

Sa voix râpeuse, peut-être due à l’âge, le surprit. Ses lourds cheveux gris étaient ramassés sur sa nuque en un chignon des plus démodés.

— Je suis impoli, je le sais, dit-il. Je me rends toujours compte quand je suis impoli. Je vous prie de m’excuser.

— Qui êtes-vous ? répéta-t-elle.

— Ce que je suis, plutôt, rectifia-t-il. Cette question est bien plus intéressante. Vous savez ce que je suis ?

— Non. Je devrais ?

— Je ne sais pas. Regardez mes mains. Voyez comme elles sont longues et fines.

— Délicates, dit-elle en regardant tour à tour ses mains et son visage. Que faites-vous ici ?

— Mes méthodes sont infantiles, dit-il. C’est ainsi que je fonctionne.

— C’est-à-dire ?

— Savez-vous qu’Aaron Lightner est mort ?

Elle soutint son regard pendant un instant puis s’adossa à son siège en lâchant le feutre vert resté dans sa main. Elle détourna les yeux. Il était évident qu’elle l’ignorait.

— Qui vous l’a dit ? Est-ce que tout le monde est au courant ?

— Apparemment, non.

— Je savais qu’il ne reviendrait pas.

Elle se pinça les lèvres, ce qui creusa de profonds sillons au-dessus de sa bouche.

— Pourquoi êtes-vous venu me le dire ?

— Pour voir votre réaction. Pour savoir si vous étiez pour quelque chose dans ce meurtre.

— Quoi ?

— Vous avez bien entendu.

— Un meurtre ?

Elle se leva lentement et lui adressa un regard cruel, surtout après s’être rendu compte de sa grande taille. Elle lança un regard vers la porte et sembla même vouloir se diriger vers elle. Mais il leva la main pour réclamer sa patience.

— Vous dites qu’Aaron a été tué par quelqu’un ?

— Oui. Volontairement renversé par une voiture. Mort.

La femme ferma les yeux comme pour mesurer l’importance de cette nouvelle. Elle les rouvrit et regarda droit devant elle, comme ignorant sa présence derrière elle.

— Les sorcières Mayfair ! Mon Dieu, mais pourquoi est-il allé là-bas ?

— Je ne crois pas que les sorcières aient fait cela.

— Alors qui ?

— L’un des vôtres.

— Vous êtes fou ! Aucun d’entre nous ne ferait une chose pareille.

— Je sais très bien ce que je dis. Yuri, le gitan, dit que c’est un membre de l’ordre et il ne mentirait pas sur un sujet de cette importance. De toute façon, à ma connaissance, Yuri ne ment jamais.

— Yuri ? Vous l’avez vu ? Vous savez où il se trouve ?

— Pas vous ?

— Non. Je sais seulement qu’il est parti une nuit. Où est-il ?

— Il est en bonne santé, mais ce n’est qu’un hasard, si je peux m’exprimer ainsi. Les types qui ont tué Aaron ont également tenté de le supprimer.

— Pourquoi ?

— Vous n’êtes donc pour rien dans tout cela ?

Il était satisfait.

— Non. Attendez ! Où allez-vous ?

— Chercher les meurtriers. Montrez-moi où je peux trouver le supérieur général. Je connaissais le chemin, autrefois, mais les choses changent. Il faut que je le voie.

Elle ne se le fit pas dire deux fois. Passant devant lui, elle lui fit signe de la suivre. Dans le couloir, ses talons résonnaient sur le parquet ciré. Elle marchait la tête penchée, les bras se balançant le long de son corps.

Au bout de ce qui lui parut une éternité, ils atteignirent enfin l’autre extrémité du couloir principal et une porte à double battant. Il s’en souvenait. À l’époque, cependant, elle n’était pas aussi rutilante.

Elle frappa à la porte, au risque de réveiller toute la maison.

Lorsque la porte s’ouvrit, elle entra puis se tourna ostensiblement vers lui pour montrer au supérieur général qu’elle était accompagnée.

Celui-ci les regarda puis, apercevant Ash, son visage passa de l’étonnement au choc avant de se fermer complètement.

— Vous savez ce que je suis, n’est-ce pas ? demanda doucement Ash.

Il entra rapidement et referma derrière lui. C’était un grand bureau plutôt désordonné, avec une chambre attenante. La cheminée était vide.

La femme le regardait toujours d’un air féroce. L’homme avait reculé. Comme pour se mettre hors de portée.

— Oui, vous le savez, dit Ash. Et vous savez qu’on a tué Aaron Lightner.

L’homme n’était pas surpris mais plutôt inquiet. Il était grand et bien bâti, en bonne santé et ressemblait à un général outragé qui se sait en danger. Il ne feignit même pas l’étonnement et la femme s’en aperçut.

— J’ignorais qu’ils feraient cela. Ils ont dit que vous étiez mort, que vous aviez été détruit.

— Moi ?

L’homme recula, en proie à la terreur.

— Ce n’est pas moi qui ai donné l’ordre de tuer Aaron. Je ne sais même pas où le Talamasca veut en venir ni pourquoi il tenait tant à vous. Je ne sais pratiquement rien.

— Qu’est-ce que cela signifie, Anton ? demanda la femme. Qui est cette personne ?

— Personne. Personne. Le mot est inapproprié, dit l’homme appelé Anton. Vous avez devant vous quelque chose de…

— Dites-moi le rôle que vous avez joué là-dedans, insista Ash.

— Mais aucun ! Je suis le supérieur général. On m’a envoyé ici pour veiller à ce que les instructions des Aînés soient respectées.

— Quelles que soient les instructions ?

— Mais qui êtes-vous pour m’interroger de la sorte ?

— Avez-vous dit à vos gens de vous ramener le Taltos ?

— Oui. À la demande des Aînés. De quoi m’accusez-vous ? Qu’ai-je fait pour que vous veniez me demander des comptes ? Ce sont les Aînés qui ont choisi ces hommes, pas moi. (L’homme prit une profonde inspiration tout en observant Ash dans les moindres détails.) Vous rendez-vous compte de ma position ? Si du mal a été fait à Aaron Lightner, c’était la volonté des Aînés.

— Et vous l’acceptez ? Et les autres ?

— Personne d’autre n’est au courant et personne ne doit savoir.

La femme laissa échapper un soupir. Si elle avait espéré qu’Aaron n’était pas vraiment mort, elle était maintenant fixée.

— Je dois dire aux Aînés que vous êtes là, dit l’homme.

— Et par quel moyen ?

L’homme fit un geste vers le télécopieur posé sur le bureau. Ash ne l’avait pas remarqué. Le bureau comportait de nombreux tiroirs, dont l’un contenait peut-être une arme.

— Il faut que je les avertisse tout de suite. Veuillez m’excuser.

— Certainement pas. Vous êtes un homme corrompu. Vous êtes mauvais. Je le vois. C’est vous qui avez envoyé des hommes de l’ordre.

— Les Aînés m’ont dit de le faire.

— Dit ou payé pour ça ?

L’homme resta silencieux. Il lança un regard paniqué à la femme.

— Appelez de l’aide, lui dit-il.

Puis, s’adressant à Ash :

— Je leur ai dit de vous ramener. Ce qui s’est passé n’est pas de mon fait. Les Aînés m’ont dit de venir ici et de faire ce que j’avais à faire, à tout prix.

Une fois encore, la femme eut l’air choquée.

— Anton, murmura-t-elle.

Mais elle ne fit aucun geste vers le téléphone.

— Je vous donne une dernière chance, dit Ash. Dites-moi quelque chose qui m’empêchera de vous tuer.

C’était un mensonge. Il s’en aperçut dès que les mots eurent franchi ses lèvres mais, d’un autre côté, cela forcerait peut-être l’homme à parler.

— Comment osez-vous ? dit l’homme. Il suffit que j’élève la voix pour qu’on vienne.

— Faites-le ! ordonna Ash. Les murs sont épais mais vous pouvez toujours essayer.

— Vera, appelez à l’aide !

— Combien vous a-t-on payé ? demanda Ash.

— Vous ignorez de quoi vous parlez.

— Oh, que non ! Vous savez ce que je suis mais c’est tout. Votre conscience est pervertie, vous avez peur de moi et vous êtes un menteur. J’imagine aisément qu’il n’a pas été difficile de vous corrompre. On vous a offert de 1 avancement et de l’argent et vous avez donc collaboré à un projet que vous saviez mauvais.

Il regarda la femme, qui était totalement horrifiée.

— Ce n’est pas la première fois que cela se produit dans votre ordre, ajouta-t-il.

— Sortez d’ici ! s’écria l’homme.

Il se mit à crier à l’aide d’une voix qui sembla très forte.

— Je vais vous tuer, dit Ash.

La femme cria :

— Attendez ! Vous ne pouvez pas agir ainsi. C’est inutile. Si Aaron a été tue volontairement, nous devons réunir immédiatement le conseil. À cette période de l’année, la maison est remplie de membres. Convoquons le conseil. Je vais avec vous.

— Vous pourrez le convoquer quand je serai parti. Vous êtes innocente et je n’ai pas l’intention de vous tuer. Mais vous, Anton, votre coopération était nécessaire pour que ce plan réussisse. Vous avez été acheté et vous refusez de l’admettre. Qui vous a acheté ? Certainement pas les Aînés.

— Si, ce sont eux.

L’homme tenta de s’enfuir. Ash le rattrapa sans difficulté grâce à la longueur inhabituelle de ses bras. Il serra les doigts autour du cou d’Anton et commença à en extirper la vie, aussi rapidement que possible, espérant que sa force suffirait pour lui briser le cou. Mais ce ne fut pas si facile.

La femme avait reculé. Elle avait pris le téléphone et parlait dans le combiné d’une voix frénétique. Le visage de l’homme était rouge et ses yeux exorbités. Il perdit conscience et Ash serra plus fort jusqu’à ce qu’il soit certain de sa mort. Il le laissa tomber à terre.

La femme lâcha le combiné du téléphone.

— Dites-moi ce qui s’est passé, cria-t-elle. Dites-moi ce qui est arrivé à Aaron ! Qui êtes-vous ?

Ash entendit des gens arriver en courant.

— Vite, il me faut le numéro permettant de joindre les Aînés.

— Je ne peux pas vous le donner. Il ne doit pas sortir d’ici.

— Madame, ne soyez pas stupide. Je viens de tuer cet homme. Faites ce que je vous dis.

Elle ne bougea pas.

— Faites-le pour Aaron, dit-il. Et pour Yuri Stefano.

Elle regarda vers le bureau, porta la main à ses lèvres, puis attrapa un stylo et écrivit rapidement quelque chose sur un morceau de papier qu’elle poussa vers lui.

On frappait à la porte.

Il regarda la femme. Plus le temps de discuter.

Il se retourna, ouvrit la porte et se retrouva face à un groupe d’hommes et de femmes qui l’entourèrent en l’observant. Certains étaient âgés, d’autres plus jeunes. Il y avait cinq femmes, quatre hommes, un jeune homme très grand et imberbe et le vieillard de la bibliothèque.

Il ferma la porte derrière lui pour gagner du temps sur la femme restée à l’intérieur.

— Est-ce que l’un de vous sait qui je suis ? interrogea-t-il à la cantonade.

Il scruta les visages un à un jusqu’à être certain de les avoir tous mémorisés.

— Si vous savez ce que je suis, veuillez me le dire.

Personne ne réagit. Dans la pièce, la femme s’était mise à sangloter.

Un sentiment d’inquiétude parcourut le groupe. Un homme jeune se joignit à eux.

— Laissez-nous entrer, dit une femme. Nous devons savoir ce qui se passe à l’intérieur.

— Mais est-ce que vous me connaissez ? Vous ! dit-il en s’adressant au nouveau venu. Savez-vous ce que je suis et pourquoi je suis ici ?

À l’évidence, personne n’en avait la moindre idée.

Dans la pièce, derrière lui, la femme attrapa les poignées de la porte et ouvrit les deux battants en grand. Ash fit un pas de côté.

— Aaron Lightner est mort ! s’écria-t-elle. Il a été tué.

Des murmures de consternation et de surprise s’élevèrent du groupe. Tous étaient innocents. Le vieil homme de la bibliothèque avait l’air sincèrement affligé. Innocent.

C’était le moment de partir.

Ash se fraya un chemin à travers le groupe et se dirigea vers l’escalier, qu’il descendit quatre à quatre. La femme cria aux autres de l’arrêter, de ne pas le laisser s’échapper. Trop tard. Il avait une bonne avance et de très longues jambes.

Il parvint à la sortie latérale avant que ses poursuivants n’aient atteint l’escalier.

Il sortit dans la nuit, traversa à grands pas l’herbe humide, jeta un regard derrière lui et se mit à courir. Il courut jusqu’au portail puis ralentit son allure et marcha vers sa voiture en faisant signe à son chauffeur d’ouvrir la portière et de démarrer sans perdre une seconde.

Tandis que la voiture accélérait sur l’autoroute, il lut le numéro de fax inscrit par la femme. C’était un numéro à l’étranger et, si sa mémoire était bonne, ce devait être à Amsterdam. Il attrapa le téléphone logé dans le panneau de la porte et composa le numéro de l’opérateur.

Oui, Amsterdam.

Il apprit le numéro par cœur puis plia le papier et l’enfouit dans sa poche.

 

À son retour à l’hôtel, il nota le numéro de fax, commanda à dîner, prit un bain, puis attendit patiemment que les serveurs disposent son dîner sur la table. Ses employés, dont la charmante Leslie, semblaient préoccupés.

— Trouvez-moi un autre hôtel pour demain matin, dit-il à Leslie. Aussi bien que celui-ci, mais il me faut un bureau et plusieurs lignes. Venez me chercher dès que ce sera arrangé.

La jeune Leslie, ravie de se voir confier une mission, se retira avec les autres. Il congédia les serveurs et fit un excellent repas de pâtes à la crème et de quantité de lait froid.

Lorsqu’il eut terminé, il s’étendit sur le canapé et écouta tranquillement les craquements du feu dans la cheminée.

Il espérait que Yuri allait revenir, mais c’était peu probable. Il avait voulu rester au Claridge au cas où Yuri aurait décidé de leur faire à nouveau confiance.

Samuel arriva enfin, si soûl qu’il titubait. Sa veste en tweed était jetée sur son épaule et sa chemise blanche était toute froissée.

Samuel s’allongea par terre, près de la cheminée. On aurait dit une baleine échouée. Ash se leva, prit quelques coussins et les glissa sous la tête du petit homme. Celui-ci ouvrit les yeux. Son haleine empestait l’alcool.

— Tu as trouvé Yuri ? demanda-t-il.

— Non, répondit Ash, un genou posé par terre près de son ami. Je ne l’ai pas cherché. Par où commencer dans une si grande ville ?

— Il n’y a ni commencement ni fin, dit Samuel dans un grand soupir. J’ai cherché partout. De pub en pub. J’ai peur qu’il ne veuille retourner là-bas. Ils vont essayer de le tuer.

— Il a beaucoup d’alliés maintenant, dit Ash. Et l’un de ses ennemis est mort. L’ordre est en alerte. Je pense que c’est bon pour Yuri. J’ai tué leur supérieur général.

— Mais pourquoi as-tu fait cela ?

Samuel fit un effort pour se redresser mais Ash dut l’aider.

— C’était un homme corrompu et un menteur. Toute corruption au sein du Talamasca est dangereuse. Et il savait ce que j’étais. Il m’a pris pour Lasher. Quand je l’ai menacé de le tuer, il a accusé les Aînés. Aucun membre loyal de l’ordre n’aurait fait allusion aux Aînés devant un étranger.

— Et tu l’as tué.

— À mains nues, comme toujours. Il n’a pas beaucoup souffert. Et j’ai vu plein d’autres gens. Aucun ne savait ce que j’étais. À mon avis, la corruption est au plus haut niveau du Talamasca et non parmi la base. Ou alors ce serait sous une forme confuse. Ils ne reconnaissent pas un Taltos quand ils en voient un, même quand on leur donne l’occasion d’en étudier un spécimen.

— Spécimen, répéta Samuel. Je veux retourner dans la lande.

— Tu ne veux pas m’aider pour que la lande reste un endroit sûr où tes infâmes petits camarades pourront tranquillement danser et jouer de la cornemuse, tuer d’innocents humains et faire bouillir leur graisse dans des chaudrons ?

— Ta façon de t’exprimer est un peu dure.

— Tu trouves ? Peut-être bien.

— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

— Je n’en sais rien. Si Yuri n’est pas revenu d’ici demain matin, nous partons.

— Mais j’aime bien le Claridge, moi, grommela Samuel.

Il chavira et ferma les yeux au moment où sa tête tomba sur les coussins.

— Samuel, rafraîchis ma mémoire, s’il te plaît, dit Ash.

— À quel sujet ?

— Qu’est-ce qu’un syllogisme ?

Samuel se mit à rire.

— Te rafraîchir la mémoire ? Mais tu n’as jamais su ce qu’était un syllogisme. Qu’est-ce que tu connais à la philosophie, d’abord ?

— Bien trop. Tous les hommes sont des bêtes. Les bêtes sont sauvages. Donc, tous les hommes sont sauvages.

Il entra dans la chambre et s’allongea sur le lit.

Pendant un court instant, il revit la sorcière aux magnifiques cheveux, la bien-aimée de Yuri. Il imagina ses seins nus pressés contre son visage, recouverts de ses cheveux comme d’un grand manteau.

Il s’endormit rapidement. Il rêva qu’il parcourait son musée de poupées. Le sol de marbre venait d’être lustré. Dans les vitrines, toutes les poupées se mettaient à chanter. Les Françaises dansaient en faisant tourner leurs petites robes en forme de cloche, leurs petits visages ronds rayonnant de joie. Celles de Bru, reines entre toutes les poupées, chantaient de leurs voix de soprano, leurs yeux luisant dans la lumière phosphorescente. Il n’avait jamais entendu une telle musique. Il était heureux.

Faire des poupées qui chantent, songea-t-il dans son rêve. Qui chantent réellement. Pas de ces vieilles poupées au son mécanique mais avec des voix électroniques qui chanteront pour l’éternité. Quand la fin des temps sera venue, elles continueront de chanter dans les ruines.

 

Taltos
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